les-Téméraires

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INTRODUCTION DES AUTEURS

2020-09 Mary

 

 

 

     Dans la plupart des communes de France, la période de l'Occupation allemande et de la Résistance a laissé une trace profonde. Aux souvenirs directs des premiers temps s'est souvent substituée une mémoire construite, qui se perpétue parmi les générations, au fil des années et des commémorations.

 

     Dans l'espace géographique objet de ce livre, le bassin minier de Montceau-les-Mines en Saône-et-Loire, la mémoire conservée de cette période est particulièrement vive, sans doute en raison de l'intensité des engagements d'alors ; ceux-ci valurent à la commune de recevoir la médaille de la Résistance, remise le 16 septembre 1946 par le général de Lattre de Tassigny au maire de la Libération, le médecin socialiste Pierre Fernand Mazuez.

 

     Le symbole contribue puissamment à faire vivre la mémoire présente. Les dix-sept communes qui reçurent cette distinction décidèrent, en 1986, de se jumeler par un pacte d'honneur afin «d'assurer la pérennité du message de la Résistance française», en même temps qu'avec la Nouvelle Calédonie qui avait été ajoutée à cette petite cohorte. Depuis lors, chaque année, une des collectivités est chargée d'organiser une manifestation à l'occasion de la réception du drapeau qui symboliquement est transmis de ville en ville, en dix-huit étapes emblématiques, rappelant le 18 du mois de juin 1940. Ainsi, en septembre 2016, le drapeau est arrivé à Montceau, dans la pompe d'une reconstitution historique et de manifestations diverses, largement commentées par la presse départementale.

 

     Ces célébrations mémorielles au long cours, qui ne reviennent que tous les dix-huit ans, à chaque nouvelle génération, contribuent indubitablement à préserver ce qui peut l'être du lien social, malgré le déclin des solidarités liées à l'exploitation passée du charbon. Leur caractère rituel a aussi pour effet de plonger ce passé qui s'éloigne à grands pas dans une sorte d'embaumement. En publiant ce livre, notre projet est au contraire de lui redonner du sang et de la chair, de montrer la commune humanité des acteurs, surtout de ne rien omettre de ce qui permet la compréhension fine des évènements, puisque nous avons pris le parti de restituer au plus près ce que fut la vérité des faits, de tous les faits.

 

     Car ces années, labourées par des générations de narrateurs, restent emplies de zones d'ombres, de vérités approximatives sans cesse répétées, parfois de cyniques travestissements. Si la période de l'été 1944 est la mieux connue et la plus célébrée, car c'est celle des actions spectaculaires et des grands maquis, celle dont la commune allait tirer gloire et honneur, les temps qui précèdent sont nimbés d'un subtil brouillard. Des moments forts en émergent, dont le souvenir des grandes rafles policières des premiers mois de 1944, mais la connaissance détaillée de cette longue séquence de la résistance clandestine n'existe pas à ce jour.

 

     C'est pourtant avant le Débarquement du 6 juin 1944 que la répression fut la plus forte. C'est alors que furent arrêtés la plupart de ceux qui allaient mourir en déportation ; c'est aussi la période où se mêlaient, parfois rudement, les diverses tendances dont sortiront les grandes formations résistantes de la Libération ; c'est aussi alors qu'apparurent les métastases que génère communément la guerre et qui allaient se répandre durant l'été 1944 : émoussement des interdits sociaux, meurtres et rapines.

 

    En d'autre endroits, cette guerre souterraine que se livraient résistants conspirateurs et policiers a donné lieu à de passionnantes études historiques. L'arrêté du 24 décembre 2015 portant ouverture des archives relatives à la Seconde Guerre mondiale donne en effet librement accès à une masse de dossiers ; ceux provenant de la police et de la justice, pendant l'occupation et durant la phase d'épuration, permettent souvent de reconstituer les enquêtes. Dans le même temps, les archives privées apportent nombre d'éclaircissements sur lesquels les acteurs disparus étaient restés discrets de leur vivant…

 

     Aucun obstacle n'explique donc ce flou persistant qui règne encore dans la région de Montceau-les-Mines. D'où notre curiosité à lever le voile par un long travail d'investigation, étalé sur plusieurs années. C'est son résultat que nous vous proposons dans cet ouvrage.

 

     Vous verrez que notre démarche de soumettre à un regard critique toute source nouvelle, comme toute vérité qu'on croyait acquise, aboutit à une image finale de la Résistance locale assez différente de celle transmise par la mémoire commune. A l'héroïsation des mineurs, devenue une constante du chauvinisme local, se substitue le constat beaucoup plus nuancé de l'entrée tardive en résistance de cette catégorie sociale et de la place prépondérante qu'y eut une forme originale de mobilisation : le MORB (Mouvement ouvrier de résistance de Blanzy), rattaché aux mouvements gaullistes. En dehors de la mine et durant la longue période de clandestinité qui précéda le Débarquement, à la simplification de résistants clairement répartis entre groupes clandestins communistes ou gaullistes vient se superposer la vérité d'une mobilisation massive de la jeunesse des quartiers, de nature plus sociologique et générationnelle que strictement résistante et encore moins politique, qui retrouve les pratiques des révoltés des débuts du mouvement ouvrier et va imposer son allant et son radicalisme aux organisations structurées. Débordés par ces jeunes, qui passaient aisément des uns aux autres, communistes comme gaullistes voudront d'abord les utiliser, jusqu'à préférer les annihiler lorsqu'ils gagneront en autonomie, expurgeant ensuite l'histoire locale de leur souvenir.  Stupéfiante fut aussi notre découverte que c'est sur ces jeunes montcelliens en rupture que s'appuyèrent les FTP départementaux pour organiser leur premier maquis structuré à la Charmée, dans la région châlonnaise, maquis dont vous lirez pour la première fois l'histoire. Enfin, faisant justice de l'omniprésente explication des arrestations par la trahison, on a pu démontrer que c'est le travail méthodique et très professionnel des policiers, français comme allemands, qui allait aboutir aux arrestations massives du printemps 1944. De même manière seront éclaircies plusieurs exécutions fameuses, trop longtemps masquées sous le prétexte facile de collaboration.

 

    Par cette approche nouvelle, abondamment documentée et argumentée, de ce que fut la résistance souterraine d'avant juin 1944, le peuple du bassin minier sort incontestablement grandi, car il apparaît, plus directement qu'il est généralement rapporté, comme le vrai acteur de cette page d'histoire, en particulier sa jeunesse, engagée à cœur perdu, jusqu'à bousculer tous les cadres. Au-delà du rôle de quelques personnages, hâtivement transformés en icônes et qu’on nous demande aujourd’hui encore de vénérer, au-delà même du rôle des organisations dont ils étaient membres et que l'histoire allait sublimer, transparaît le courage collectif des citoyens ordinaires de ce coin de Bourgogne, courage que d'autres générations avaient déjà manifesté dans des périodes plus reculées et dont la conscience ravivée aidera à livrer les combats d'aujourd'hui.

 

 

Gérard Soufflet et Jérémy Beurier,

Décembre 2019



17/10/2020
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