les-Téméraires

les-Téméraires

La gamelle de déporté d'Henri Thévenet, fondateur de l'aérodrome de Pouilloux

Etrange présent que cette gamelle offerte à Marcel Ailliot par Henri Thévenet… mais quand on pense à ce que représente la nourriture dans un camp de concentration nazi, on saisit l’amitié qui reliait les deux hommes ! 


« Il pleut un peu. On discute On essaye de discuter!- et surtout on attend la soupe - on a faim - La faim : la première grande misère du camp. La faim horrible... La faim tenace, la faim hallucinante qui réduit l'homme à l'état de bête sauvage. Tous, nous avons connu la faim. Une faim à pleurer, à se tuer, à tuer les autres pour manger leur chair. » in Fortes impressions de Dachau de Jacques Songy

 

IMG_20220829_151921

 


 Henri Thévenet est l'un des téméraires que notre livre a fait sortir de l’oubli… oubli ou mémoire volontairement effacée d'un homme qui gênait et qui fut une la victime de l’ignorance et des fausses rumeurs. 

 

IMG_20220829_152747

 

 

Résistant de la première heure, Henri Thévenet fut passeur de la ligne de démarcation venant en aide à des Juifs et des prisonniers de guerre évadés. Il fut successivement membre des réseaux Brandy et Armada de Raymond Basset et André Jarrot, chef de la SAP (Service des Atterrissage et des Parachutages) pour le bassin-minier et chef de maquis. Arrêté le 20 février 1944, il subit les tortures de la Sipo/SD (communément appelée Gestapo) et déporté au camp de concentration de Buchenwald. Évadé lors d’une marche de la mort un mois avant la libération de son camp par les Américains, son retour en France n’eut pas la saveur espérée. De folles rumeurs répandues par un ancien camarade de souffrance, Charles Pycke, dont la mythomanie cachait ses propres crimes, l’accusaient d’avoir vendu ses compagnons aux Allemands et d’avoir contribué à la folie nazie en se rendant complice des SS dans les camps. En outre, il était sans nouvelles de sa femme arrêtées en même temps que lui. 

 

IMG_20220829_152814

 

 


Mimi, Emilienne Berger, sa « petite femme chérie » subit elle aussi les tortures allemandes et la déportation à Ravensbrück. Elle était de retour à Montceau un mois après son mari. 


Le couple fut ruiné par la guerre : propriétaires de deux garages, le premier, celui de Montceau fut pillé par les Allemands (Henri, pilote, y perdit son avion et sa voiture) et celui du Creusot fut détruit par le bombardement anglais ! Malgré la calomnie et la ruine, le couple tenta de reprendre une vie normale. Il rouvrit son garage de Montceau et Henri poursuivit ses démarches pour implanter un aérodrome près du bassin-minier. Il fonda l’aéroclub de Montceau et créa l’aérodrome de Pouilloux. 
Cependant, malgré sa défense acharnée devant ses détracteurs et les enquêtes qui ne firent que prouver son innocence, la pression d’une réputation bafouée après avoir tout donné pour la Résistance était trop forte. Le couple Thévenet quittait le Bassin Minier au début de l’année 1949 pour s’installer à Cannes puis, quelques années plus tard, dans la région Lyonnaise à Villeurbanne puis Rilleux. 


C’est probablement à cette époque qu’ils reprennent contact avec la famille de Marcel Ailliot que la carrière avait éloigné de Montceau après la première guerre mondiale mais qui avait gardé des attaches dans la région.
L’amitié entre Henri et Marcel s’est construire autour de celle de leurs femmes, Mimi et Arsène née Guilloux. 


La famille Ailliot est une famille d’agriculteurs de Meillers dans l’Allier. François s’installe à Montceau dans les années 1880/1890, recruté comme musicien dans la fanfare des Houillères du Bassin de Blanzy et comme marqueur à la mine. Il a 6 enfants dont François Marcel né en 1893, dessinateur en bâtiment et musicien comme lui. Il est employé dans une usine de tissus à Vienne. 
Ainsi, dans les années 50, l’amitié entre les deux familles grandit. Les Thévenet connaissent enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants… Henri partage notamment sa passion pour l’aviation avec Marcel le petit-fils de son ami qui porte le même prénom (il deviendra Président de l’aéroclub de Vienne).
 C’est d’ailleurs à l’occasion des 30 ans d’aéroclub du petit-fils de son ami qu’Henri scella son amitié avec Marcel par ce don si symbolique. 
Henri Thévenet est décédé en 1987, sa femme, la « Mimi », en 1995.

 

IMG_20220829_184227

Henri et Mimi Thévenet avec Marcel (petit-fils) et Maguy Ailliot en 1985

 

Description de la gamelle:

 

 

IMG_20220829_152230

 

 

Dans les camps de concentration, les seules possessions du déporté sont ces vêtements, sa cuillère et sa gamelle. Cette dernière est souvent une écuelle ou une petite marmite légère civile ou militaire. Celle qu'Henri a ramené des camps est un récipient civil en fer blanc de forme ovale d’une contenance de 2 litres. Elle est composée d’un corps et de son couvercle, une anse en fer permet son port. 


Gravée après son retour des camps (Henri ne pouvait pas la graver sur place ne sachant pas où était sa femme avant son rapatriement), il y a clairement trois phase de gravure :


La première phase pourrait avoir été gravée entre le rapatriement d’Henri et celui de sa femme. Le Kommando de Buchenwald où travaillait Henri est évacué le 11 avril 1945 devant l’avancée des troupes alliées. Les déportés subissent alors les marches de la mort où à bout de forces et presque sans nourriture des milliers de déportés sont déplacés sans réelle destination. Les trainards sont exécutés sommairement. Ces marches prennent fin avec la capitulation allemande du 8 mai 1945, mais Henri s’en évade le 15 avril dans la région de Chemnitz et rejoint les lignes américaines. Une semaine plus tard, il est de retour à Montceau. Ce n’est qu’à la libération du camp où fut déportée Emilienne le 7 mai 1945, qu’il apprend qu’elle est en vie. Ils peuvent échanger du courrier, il écrit à Falkenau et découvre son matricule, le 39006. Henri grave probablement la gamelle entre cette date et le 22 mai, date du retour d’Emilienne. 
Autour d'un dessin représentant son brevet militaire de pilote d’avion, il grave en haut « Thévenet 1944 », « Mimi 39006 Falkenau » à gauche et « Henri 49745 Buchenwald » à droite. En dessous du brevet est gravé  la phrase « A ma Petite femme Chérie ». 


Une seconde phase de gravure, plus saillante au passage du doigt et faite avec un poinçon différent, semble plus récente. Cette fois-ci, gravée avec plus de renseignements sur le parcours de Mimi, il note à gauche « Zvodau Ravensbrück » et à droite « Avions Siebel K.L. Juifs-Berga ». Après son internement à Chalon-sur-Saône et Romainville, Emilienne est déportée à Ravensbrück puis au kommando de travail de Zwodau près de Falkenau où elle fabriquait des composants électriques d’aviation pour l’entreprise Siemens. Quant à Henri, après Chalon-sur-Saône et Compiègne, il découvre l’enfer concentrationnaire à Buchenwald au kommando de Halle où il construit des éléments d’avions pour la firme Siebel. Ensuite, il est transféré au kommando Berga-Elster qui fabrique de l’essence synthétique pour Zeitz. Parmi les déportés de ce camp, se trouvaient des Juifs d’où la gravure K.L (KonzentrationLager) Juifs-Berga. 


Une dernière phase de gravure est faite dans les années 80 par Henri, au moment du don : sur la tranche du couvercle est écrit : "En souvenir aux six générations Aillot (sic) Marcel" 

 

Henri Thévenet, un des premiers Résistants du Bassin-Minier de Montceau, fut effacé de la mémoire locale par la malveillance d'une poignée et l'ignorance de beaucoup ! Enfin, plus de 75 ans après son retour des camps, ne mériterait-il pas une rue à son nom? Ou mieux l'aérodrome de Pouilloux pourrait fièrement porter le nom de son créateur et premier Président, grand Résistant Montcellien!

 

 

IMG_20220829_184251

Henri remet la Croix de Commandeur de la Légion d'Honneur à sa femme Mimi en 1986

 

IMG_20220829_185319

 

 

 

 

 



03/09/2022
0 Poster un commentaire