les-Téméraires

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3 juillet 1943 - qui a tué Marius Mathus ? Enquête initiale

 

 

Meeting au syndicat devant le portrait d\\\'Etienne Merzet

En meeting au syndicat, devant le portrait d'Etienne Merzet.

 

 

L'assassinat du secrétaire du syndicat des mineurs est resté très longtemps tabou à Montceau-les-Mines. Durant des décennies, il a installé une profonde défiance au sein de la gauche. Les communistes avaient d'abord revendiqué l'assassinat, accusant la victime d'entente avec Vichy ; à mesure que s'éloignait la période de la guerre, l'acte tendit plutôt à être mis au compte de mineurs patriotes ou d'anonymes FTP montcelliens… En gros, c'est la main du peuple qui aurait frappé. Les socialistes savaient pour beaucoup quoi en penser, en particulier leur leader, le maire de Montceau Pierre Fernand Mazuez, qui avait épousé la sœur de Marius Mathus, Jeanne, en décembre 1943, cinq mois après le meurtre...

 

Dans le livre "les Téméraires" le commanditaire de l'assassinat est clairement nommé : il s'agit du dirigeant principal du parti communiste pour la Saône-et-Loire zone nord (anciennement occupée), le commissaire politique régional Marcel Barbot (dit "Julien"), futur maire de Nevers et député communiste de la Nièvre… Le doute n'est pas permis car il a reconnu son rôle. Avec le recul, l'analyse de la situation locale conduit à penser que  la raison en fut la trop grande influence que Mathus avait gardé sur les ouvriers mineurs, alors que la résistance communiste avait beaucoup de mal à se développer.

 

Nous en sommes restés là dans le livre, sans vouloir aborder la question de l'identité du tueur, sujet que nous examinons maintenant. L'hypothèse la plus sérieuse ne nous ayant été apportée que par une seule source, nous avions l'impression de ne pas respecter nos règles de prudence et de rigueur historienne en la présentant trop sèchement, sans un long travail d'analyse qui n'avait pas sa place dans le livre. C'est justement une fonction de ce blog de pouvoir détailler les sujets restés ouverts dans l'ouvrage papier.

 

Nous vous proposons une démonstration en trois parties : 

     A -  L'enquête immédiate (sur cette page).

     B – Le meurtre de Jean-Marie TISSIER  - Voir ICI .

     C - Le tueur probable de MATHUS, un jeune Creusotin...  - Voir LA  .

 

 

 

L'enquête immédiate

 

Elle se limita au recueil de dépositions des témoins ou de personnes très proches de Mathus, dans les heures et les jours suivant l'attentat du 3 juillet 1943. Parmi la vingtaine de dépositions retrouvées, nous en reproduisons trois ci-dessous : celle de son fils Maurice, qui avait assisté au meurtre, celle de son secrétaire au syndicat, le Polonais Marius JACEK qui éclaire sur l'ambiance des derniers jours, celle enfin du "Many" JEANDET, patron du café d'où il sortait avant d'être abattu, témoignage fascinant par la description qu'il donne d'une salle de café ouvrier à l'époque.

 

Dim 27 juin 1943 Many Jeandet, Ang+¿le Catherine Tillier, Miraud - Copie

Dimanche 27 juin 1943, une semaine avant l'attentat,

Many Jeandet et sa femme devant leur café.

 

 

Proche de la victime au sein du syndicat des mineurs, le Many Jeandet avait été nommé délégué-mineur au puits des Alouettes, à la place du communiste Louis CAMUS, démis de son poste car refusant de dénoncer le pacte germano-soviétique, puis déporté. Quelques semaines après le meurtre, le "Many" allait devenir l'un des plus actifs recruteurs du MORB, le mouvement gaulliste de résistance des mineurs, et plus tard au maquis AS, le chef audacieux du groupe franc "des braconniers".

 

1943 – 4 juillet

Dives, Marcel

 

         Continuant notre enquête,

 

         Mandons et entendons Jeandet qui sur interpellation déclare :

         Je me nomme Jeandet Jean-Marie, âgé de 52 ans, Délégué mineur et cafetier, demeurant 21 rue du Pont à Montceau-les-Mines.

 

         "Hier soir mon camarade Mathus est venu me rendre visite dans mon café comme il avait souvent coutume de le faire. Il était environ 18 h ou 18h30. Entre camarades et collègues nous avons pris un verre dans la cuisine. Il y avait M.M. Dumuzois, Président de la Caisse de Secours, Laurent de Perrecy délégué de la Caisse de Secours, Prétet chauffeur à la Caisse de Secours, Baudot un ami, Chambreuil, ouvrier forestier, M. Mathus et moi-même.

         "Un peu après 19h15, M. Mathus est rentré dans le café et s'est attablé avec deux de ses amis : Jacquelot, ouvrier mineur membre du Conseil Syndical et Bonin mineur. Tous trois ont consommé en discutant questions professionnelles.

         "A ce moment se trouvaient au café M.M. Lacocque et Tramaille agents de lignes aux P.T.T. tous deux ensemble. M. Soudeille cordonnier et Lamour Alphonse propriétaire qui consommaient ensemble. M. Tillier employé à la Mine demeurant à Bel Air, seul. M. Nectoux, maître mineur et Baudin mineur tous deux jouant au billard, ma femme et moi qui allions et venions dans le café.

         "Pendant ce laps de temps, entre 19h20 et 19h45 heure à laquelle M. Mathus est parti après avoir salué ses amis et moi-même, un homme, inconnu de ma femme et de moi et je pense même des clients, car il n'a adressé la parole à personne, s'est présenté au café. Il a pris place seul à une table, face à celle où se trouvait Mathus.

         "Avec un accent qui n'est pas Montcellien cet homme a demandé "un demi". C'est ma femme qui l'a servi.

         Cet inconnu était m'a-t-il semblé vêtu de couleur sombre, il était de taille moyenne, 25 à 30 ans environ, le teint basané, les cheveux châtains clairs, le pantalon différent comme teinte du veston, sa tenue ne m'a pas frappé, il avait des souliers plutôt rustiques.

         "Il est resté 5 à 10 minutes et est sorti 5 minutes avant Mathus. Avant de partir, et sur un ton impératif, il a demandé "patron". Je me suis présenté il m'a demandé "combien" et il m'a réglé les deux francs demandés.

         "Pendant son séjour au café, cet inconnu m'a paru observer un peu ce qui se passait, comme il était placé il pouvait voir tout le monde et ne pouvait ignorer la présence de M. Mathus et sa personnalité, étant entendu la conversation de Mathus et de ses amis, où souvent, soit l'un soit l'autre le désignait par son nom.

         "A un certain moment M. Mathus voulait partir, car disait-il, il était l'heure qu'il rentre, ses amis l'ont retenu pour prendre une autre tournée.

         "Peu après, l'inconnu est sorti lui-même.

         "J'ignore s'il était à pied ou en vélo. Il pouvait très bien en avoir un, posé devant la devanture de mon café, avec d'autres du reste.

         "Tous ces détails nous ont frappés peu après lorsque la nouvelle de l'attentat nous est parvenue, car tous les clients cités plus haut étaient encore au café, sauf Tillier sorti avant l'inconnu.

         "C'est ma femme de ménage, Mme Bolusset qui 10 minutes après le départ de Mathus est venue nous annoncer la nouvelle qu'elle avait apprise elle-même en passant devant la maison du Syndicat.

         "A maintes reprises, mon ami Mathus m'a dit : "Je ne me fait aucune illusion, je m'attends à ce qu'un jour ou l'autre les communistes me descendent et cependant je ne cesse de leur rendre des services en ma qualité de Secrétaire du Syndicat.

   S.I. "Lorsque Mme Bolusset m'a annoncé la nouvelle, j'ai sans rien dire à personne envoyé Jacquelot aux renseignements chez Mathus. Il en est revenu quelques minute après, me confirmant le fait, c'est à ce moment-là que j'ai annoncé la nouvelles. Lacocque et Tramaille sont sortis immédiatement sans faire aucun commentaire. Les autres clients faisant tous quelques réflexions.

         Lecture faite, persiste et signe.

 

                      Le Commissaire Principal de Police

 

Le lendemain 5 juillet, Jean-Marie Jeandet répétait son témoignage à un enquêteur de la Police de Sûreté de Dijon, ajoutant ceci :

 

  "…  Je me souviens qu'alors que ce premier étranger consommait, un deuxième toujours inconnu de moi est entré. Il a jeté un coup d'œil circulaire dans la salle et comme je le regardais juste à ce moment-là, il m'a semblé que ses yeux rencontraient ceux du premier individu d'une façon significative. J'ai alors pensé que c'étaient deux amis et qu'ils allaient consommer ensemble, mais après hésitations ce deuxième est venu s'attabler seul à la première table en entrant. Il a bu très rapidement une canette de bière puis est parti. Il est resté à peine deux ou trois minutes. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il était habillé de noir, le teint pâle et la figure assez mince…"

 

 

1943 – 4 juillet

Dives, Marcel

 

         Continuant notre enquête,

 

         Mandons et entendons M. Mathus Maurice, fils de la victime, âgé de 13 ans, domicilié avec ses parents, 26 rue Jean Jaurès à Montceau-les-Mines, qui déclare :

 

         "Hier soir  vers 19h45 ou 19h50 j'étais en compagnie de mon camarade Oris Raymond, 13 ans, demeurant rue de la Fermé à Montceau-les-Mines. Nous sortions de chez moi au Syndicat des Mineurs et nous allions au-devant de mon père que nous savions devoir venir de la direction du Pont de chemin de fer dans la rue Jean Jaurès.

         "Effectivement, dès que nous avons été dans la rue, j'ai aperçu mon père qui suivait le trottoir de gauche en direction de la maison.

         "Lorsque nous nous trouvions à hauteur du magasin Coulambon, à une vingtaine de mètres de la rue d'Autun, et alors que mon père traversait le carrefour, j'ai remarqué un cycliste qui suivait la même direction de mon père, ralentissait son allure et amorçait son tournant à gauche pour emprunter la rue d'Autun.

         "Aussitôt, et sans descendre de sa machine, le cycliste a tiré trois coups de révolver sur mon père. Le tir a été effectué de dos ; j'ai vu mon père chanceler et se mettre à genoux, juste contre le rebord du trottoir vers la maison Buland. Je me suis précipité vers lui pour le relever. Une dame Coilas m'y a aidé et, soutenu par nous, mon père a pu marcher jusqu'à la maison où il est allé s'affaisser sur le lit.

         "En tombant, j'ai entendu mon père dire "Ils m'ont eû les lâches".

         "J'avais suivi des yeux le cycliste et je l'ai vu disparaître bien au-dessus du carrefour de la rue Jean Bouveri.

         "Je n'ai pu remarquer la figure de l'agresseur de mon père, il m'a paru être âgé de 25 à 30 ans, avoir les cheveux bruns, il était tête nue, et vêtu d'un pantalon gris clair et d'un paletot plus foncé, de couleur marron. Je n'ai rien remarqué quant à sa bicyclette.

         "Je ne sais rien d'autre.

                            Lecture faite, persiste et signe.

 

                       Le Commissaire Principal de Police

 

             Maurice MATHUS (14 ans)

 

 

     ⇐  Jean-Marie JEANDET

 

 

 

                    Marius JACEK

        ⇓

 

 

1943 – 9 juillet

 

Charles GROSDEMANGE, Commissaire

XI° Brig Dijon

 

         Vu la Commission Rogatoire ci-jointe en date du 5 juillet 1943, à nous délivrée le même jour par M. BOUCHARD, Juge d'Instruction du Tribunal de Chalon-sur-Saône et relative à la procédure suivie contre X… inculpé de tentative d'homicide

 

         Avons fait comparaitre devant nous JACEK Marius, 25 ans, secrétaire particulier de M. MATHUS, demeurant aux Georgets n°30 à Montceau-les-Mines,

         Lequel après avoir déclaré n'être Parent, allié ni serviteur de l'inculpé et avoir prêté serment de dire toute la vérité rien que la vérité, a déposé comme suit :

         Je ne sais absolument rien de l'attentat dont a été victime mon Patron.

         Tout ce que je puis vous dire, c'est que les jours qui ont précédé cet attentat, M. Mathus m'a paru bizarre. A toutes les questions que je lui posai, il me répondait dans le vague ou même ne me répondait pas du tout. Son attitude n'était pas normale.

         A un moment je lui ai demandé ce qu'il avait. Il m'a répondu : "Si, cela va".

         S.I. Je sais que son nom avait figuré sur un tract, mais je ne pense pas qu'il ait reçu de lettres personnelles de menaces, en tout cas il ne m'en a pas parlé.

         Je sais que mon Patron avait de nombreux ennemis parmi ses adversaires, en particulier dans le parti communiste. Je n'ai cependant aucun soupçon sur l'agresseur et je ne pense pas qu'il puisse être de Montceau.

         Lecture faite, persiste et signe avec nous, ainsi que l'Inspecteur MOUZA du service qui nous assiste.

 

Le Commissaire de Police de Sûreté.

 

 

(source : AD71, cote 3072W1)

 

 

1943-07-03 MATHUS in 3072W1

1943-07-03 meurtre MATHUS  - croquis des lieux (cliquer pour agrandir)

 

 

Et l'enquête initiale en resta là, sans identifier les mystérieux clients du café Jeandet, ni tirer de renseignement des douilles ramassées....

Il fallut attendre la Libération et  l'assassinat du successeur de Marius MATHUS à la tête du syndicat des mineurs, Jean-Marie TISSIER, pour avoir enfin un suspect !

 

 

La suite ...    Le meurtre de Jean-Marie TISSIER - Voir ICI .

 

 

 



17/12/2020
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